Chamaloc, le 18 juin 2017-06-17
PARDONNER OU FAIRE GRÂCE ?
Quand il m’a été mentionné ‘le Pardon’ comme sujet d’étude, j’ai bien compris qu’il ’agissait d’abord du pardon dont Dieu donne l’exemple. Il y a plusieurs façons de pardonner. Ou bien ce n’est pas inconditionnel, ou bien on pardonne, mais on n’oublie pas et, bien sûr, à condition que l’on ne recommence pas… en tous cas pas 36 fois !
Ce n’est certainement pas ainsi que Dieu nous demande de pardonner. Prenons, à ce sujet, le chapitre 18 de Matthieu, à partir du verset 21 :
21Alors Pierre s’approcha de Jésus, et dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère quand il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois ?22Jésus lui dit : je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois.
La réponse est assez claire pour ne rien ajouter. Pourtant Jésus en profite pour approfondir la question, grâce à une parabole :
23C’est pourquoi, le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. 24Quand il se mit à compter, on lui en amena un qui devait dix mille talents. 25Comme il n’avait pas de quoi payer, son maître ordonna qu’il fut vendu, lui, sa femme, ses enfants et tout ce qu’il avait, et que la dette fut acquittée.26Le serviteur, se jetant à terre, se prosterna devant lui et dit : « Seigneur, aie patience envers moi et je te paierai tout ». 27Ému de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit la dette.
Ouf ! Voilà le serviteur soulagé. Mais pour combien de temps ? Il a promis de tout payer. Une somme fabuleuse. Cent ans de salaire ! (60 millions de pièces d’argent). Où voulez-vous qu’il trouve cela ? Ce qui est incroyable, c’est qu’il s’est peut-être honnêtement imaginé qu’il y arriverait !
La parabole est invraisemblable… jamais un serviteur n’en viendrait à une telle dette ! C’est vrai, mais là est la première chose à comprendre : Notre dette à l’égard de Dieu, à cause de son absolue perfection, est tout simplement infiniment au-delà de ce que nous pourrions rembourser. Ce qui n’empêche pas beaucoup d’humains de croire que, par leurs bonnes œuvres, ils finiront bien par mériter l’acquittement de leurs fautes. Folie, tout simplement !
Or, il se fait que, sans s’y attendre, le serviteur fait la rencontre, précisément, d’un collègue qui lui a emprunté cent deniers (100 pièces d’argent). Mais redonnons la parole à Jésus :
28Après qu’il fut sorti, ce serviteur rencontra l’un de ses compagnons qui lui devait cent deniers. Il le saisit et l’étranglait en disant : Paie ce que tu me dois !29Son compagnon, se jetant à terre, le suppliait, disant ; « Aie patience envers moi, et je te paierai. » 30Mais l’autre ne voulut pas, et il alla le jeter en prison jusqu’à ce qu’il eût payé ce qu’il devait. 31Ses compagnons, ayant vu ce qui était arrivé, furent profondément attristés ; et ils allèrent raconter à leur maître ce qui s’était passé. 32Alors, le maître fit appeler ce serviteur et lui dit : « Méchant serviteur. Je t’avais remis en entier ta dette, parce que tu m’en avais supplié ; ne devais-tu pas aussi avoir pitié de ton compagnon, comme j’avais eu pitié de toi ? » 34Et son maître, irrité, le livra aux bourreaux, jusqu’à ce qu’il eût payé tout ce qu’il devait. 35C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son cœur.
On le voit, la Bible est loin d’être muette sur la question du pardon. Mais il faut bien commencer par dire que nos traductions créent un problème ! Il me faut apporter quelques mises au point d’exégèse. Il y a trois mots grecs traduits ‘pardonner’ : aphièmi, charizomaï et ileôs. Ce dernier n’est pas un verbe, mais un adjectif ou un adverbe. Il signifie ‘propice’, ‘indulgent’ ou, comme adverbe : ‘de façon favorable’. En Hébreu 8.12, c’est une citation de Jérémie 31 tirée des Septante où Dieu dit, d’Israël, à propos du résidu fidèle : Je leur serai clément pour leurs injustices et péchés dont je ne me souviendrai absolument plus. Il est bien question ici d’un pardon total promis à Israël. L’autre usage fait partie d’une expression utilisée par Pierre et que Segond traduit : À Dieu ne plaise et Darby : Dieu t’en préserve ! (Mtt 16.22) Elle signifie plus littéralement : Dieu te (soit) propice ! On se souvient de la réaction sévère du Christ qui lui répond : « Arrière de moi Satan, tu m’es une pierre d’achoppement ». L’expression suggérait en effet que Dieu, s’il avait quelque miséricorde, lui épargnerait sûrement la croix. On y reconnaît une suggestion de l’Ennemi voulant troubler Jésus. « Si Dieu est miséricordieux, Il ne permettra pas la croix ! »
Venons-en aux deux verbes. Dans la parabole que nous avons lue, c’est le premier (aphièmi) qui est utilisé. Il est fréquent puisqu’il se trouve 147 fois dans le Nouveau Testament. Que signifie-t-il ? Selon le dictionnaire il peut être traduit : ‘laisser aller’, ‘abandonner’, ‘laisser de côté’ ou ‘remettre’. Et c’est ce dernier sens qui lui est donné dans la parabole. Au serviteur incapable de régler sa dette, le maître, usant de patience, la lui remet. Cela signifie-t-il que la dette soit acquittée? On pourrait le penser, mais la suite de l’histoire montre qu’il n’en est rien. Car à cause du comportement indigne de cet homme, il devra payer sans plus attendre. En fait in ne pourrait jamais être acquitté. La vie entière n’y aurait pas suffi. Remettre la dette signifie bien, non pas l’annuler, mais en reporter le paiement à plus tard, prendre patience.
C’est donc ainsi que nous devons comprendre tous les versets où nous trouvons le français ‘pardonner.’ Car c’est ainsi que Dieu pardonne. Cette phrase vous choque, bien sûr. Mais je n’ai pas tout dit. Nous savons Dieu infiniment miséricordieux mais aussi infiniment juste. Ses propres lois sont tout aussi réellement inviolables. Une d’entre elles est exprimée en Romains 6.23 par cette affirmation que nous connaissons tous : le salaire du péché, c’est la mort. Dieu lui-même ne peut aller contre cette loi. Le pécheur doit mourir. Et, bien sûr, il s’agit d’une mort totale, non de la seule corruption de la chair et des os, ces éléments qui constituent notre corps !
Ainsi l’avait dit Dieu à Adam, à propos du fruit d’un arbre : Le jour où tu en mangeras, tu mourras. Une loi sévère ? Oui et à laquelle on ne peut échapper. Mais l’avertissement, dans sa formulation sémitique, était déjà étroitement liée à de la miséricorde divine. Dieu disait en fait : Le jour où tu en mangeras, en mourant tu mourras, c’est-à-dire « tu commenceras de mourir ». Dieu allait prendre patience, parce qu’il avait prévu le remède à la désobéissance. Ce remède : C’était lui-même prenant notre nature et venant, comme tel, s’offrir en sacrifice propitiatoire, non afin de subir le châtiment à notre place[1] comme nous le disons parfois en un raccourci dangereux, mais pour que quiconque, s’abandonnant à Lui avec confiance, puisse ne faire qu’un avec lui dans la mort de manière à être aussi un avec lui dans sa résurrection. Car, comme le dira l’apôtre Pierre dans son discours fameux de la Pentécôte, parce qu’innocent, il était impossible qu’il fut retenu dans les liens de la mort (Actes 2.24). Voilà le sens de la ‘remise de la dette’ ; en d’autres termes, de la remise à plus tard du règlement de la dette. Sur le plan de l’histoire, c’est le sens des sacrifices propitiatoires. Ils avaient pour but de couvrir les fautes, d’un sang qui symbolisait celui, à venir, du messie ou libérateur promis. Et sur la plan individuel, c’est ce pardon qui permet à Dieu d’attendre que, comprenant enfin que notre place était en Christ alors même qu’il mourait en croix et était mis au tombeau, nous prenions en compte cette mort en la faisant nôtre selon Romains 6.11 dont la traduction exacte est : Ainsi, vous aussi, comptez-vous comme morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus-Christ. Le verbe grec souvent traduit ‘considérer’ signifie, en fait ‘prendre en compte un fait certain’.
C’est la foi du Juif qui attendait le messie qui permettait à Dieu de le traiter comme s’il eût été juste, comme ce fut le cas déjà pour Abraham Et c’est notre foi qui permet à Dieu de nous regarder comme justes en attendant que, nous identifiant à Jésus dans la mort, nous réglions enfin, par cette mort en lui, notre dette pour un acquittement définitif.
Bien sûr, il reste beaucoup à dire de la parabole avant de pouvoir passer au second verbe.
Elle se termine par une sorte de ‘donnant donnant’. Jésus dit : C’est ainsi (en vous livrant aux bourreaux jusqu’à ce que tout soit payé) que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son cœur !
Le pardon de Dieu est-il donc conditionné à notre propre pardon ? Ce qui me surprend, c’est que cela surprenne ! Combien de croyants de bien des dénominations disent et redisent, souvent en litanies : Pardonne-nous nos offenses comme aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Espérons qu’ils pardonnent généreusement afin que leurs péchés leur soient généreusement pardonnés ! Et c’est bien ce que Jésus dit ensuite : Si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses (Mtt 6.15).
Mais oui… Jésus est venu sous la loi, ce qu’a redit Paul aux Galates (4.4). Et la phrase de Jésus qui termine la parabole est le commentaire d’une prière juive. La loi n’avait pas encore fait place à la grâce puisque le Christ n’était pas encore mort. Vous verrez sans peine que le langage a changé dans le livre des Actes et plus nettement encore dans les dernières épîtres de Paul.
Tant que nous sommes sous la loi, tant que c’est par notre propre justice que nous tentons de satisfaire les exigences de Dieu, il nous faudra faire face à l’impossible et nous traiterons peut-être nos frères aussi mal que le serviteur impitoyable à traité son compagnon.
Mais la loi a fait place à la grâce et il existe un autre verbe, je l’ai dit, qui est charizomaï, dont la racine est ‘grâce’. Il n’est employé que 23 fois, mais chargé de tant de joie (autre traduction de la même racine) Oui, la grâce est venue et le langage a changé. Voyez Éphésiens 4.32 :
Soyez bons les uns envers les autres, compatissants, vous faisant réciproquement grâce comme Dieu vous a fait grâce en Christ.
Ce n’est plus : « Pardonnez et il vous sera pardonné », ni « Il vous sera pardonné comme vous aurez pardonné ». Mais : « Dieu vous a pardonné en Christ, alors, pardonnez à votre tour ». En fait, c’était déjà dans la parabole. Si le serviteur avait à pardonner à son compagnon, c’est parce que sa propre dette quelque soixante mille fois plus considérable lui avait été remise.
Mais cette fois, la grâce, parce qu’elle est grâce n’a plus rien de provisoire. Pourquoi donc en avons-nous besoin ? Parce qu’il nous arrive encore, en dépit du vrai pardon reçu de nos fautes passées et clouées à la croix, il nous arrive encore, disais-je, de nous laisser séduire et de trébucher de nouveau. Nous faut-il donc être à nouveau crucifiés. Non, si nous l’avons pris en compte, c’est une réalité, comme Paul le dit aux Colossiens (2.13) ; Vous qui êtes (maintenant) morts à vos offenses et à l’incirconcision de votre chair, Dieu vous a rendus à la vie avec Christ, en nous faisant grâce pour toutes nos offenses. 14Il a effacé l’acte dont les ordonnances nous condamnaient…
La parabole ne nous sortait pas de la loi, mais elle annonçait indirectement la leçon plus capitale de la grâce : Nous qui avons pu, par la grâce de Dieu, trouver l’acquittement d’une dette incommensurable, comment, à la manière de Pierre, hésiterions-nous à pardonner encore et encore les quelques offenses dont nous pourrions être les objets.
Seulement, il y faut, la aussi, la grâce pratique, quotidienne, du Seigneur. Parce que pardonner n’est pas un attribut de notre vieille nature et, bien que crucifiée, elle nous a laissé des habitudes bien différentes qu’il nous faut mettre à mort[2].
Pardonner n’est pas simple quand il y a eu souffrance profonde. Pardonner et oublier, encore moins… Peut-on vraiment ne plus se souvenir ? On peut, pour le moins, se souvenir sans amertume, sans reproche. Dieu, par définition, ne saurait rien oublier. Et pourtant plusieurs textes, dont celui que nous avons mentionné au début, affirment qu’il oublie. Cela signifie probablement qu’il n’y revient plus, n’en parlera jamais plus… Cela, avec son aide, nous est aussi possible.
Le texte d’Éphésiens 4. 32 dit : Faites-vous grâce réciproquement… mais n’est-ce pas entre frères ? Si nous étions tentés de limiter notre pardon à notre fratrie spirituelle, il suffirait, pour nous en corriger de retourner au sermon sur la montagne…là où Dieu est donné en exemple en ce qu’il fait pleuvoir ou fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons !
Oui, c’est possible et c’est source d’une joie profonde. Il n’y a pas de guérison sans pardon. Je ne mentionnerai qu’un exemple. Vous avez entendu parler de Corrie Ten Boom. Dénoncée aux occupants parce que cachant des Juifs durant la dernière guerre, elle avait été envoyée en camp de concentration. Raillée, elle y avait subi les pires humiliations d’un des plus cruels gardes du camp.
Elle le verra venir à elle, plus tard, après la guerre, la main tendue et demandant son pardon.
Sûrement pas facile ! Mais, ayant prié, après quelques instants d’hésitation, elle a tendu sa propre main. Le racontant, elle dépeint l’extraordinaire chaleur de la réconciliation qui, alors, a gagné en peu de temps son être tout entier.
Il y a peut-être en nous quelque blessure faite consciemment ou non par un proche, un frère, une connaissance lointaine… blessure qui n’a pas encore pu guérir parce que nous n’avons jamais fait la démarche du pardon. Si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande. Va…
Pardonner, c’est en quelque sorte porter à d’autres quelque chose de l’immense miséricorde de Dieu, être un peu comme Sa propre main tendue.
Que Dieu brise en nous tout mur, toute barrière qui, de façon consciente ou non, nous empêcherait de tendre la main à quiconque, a fortiori à un frère ou une sœur en Jésus.
Attendre ne ferait que freiner la guérison et nous priver d’une joie profonde.
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[1] Le grec huper n’a jamais le sens de ‘à la place de’ mais bien ‘en faveur de’.
[2] Colossiens 3.5