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ABRAHAM ET LA FOI
Romains 4.1-12
La dernière partie du chapitre trois de l’épître aux Romains avait pour but de montrer que la loi ne pouvait rendre aucun humain parfait, c’est-à -dire juste aux yeux de Dieu. C’est cette loi, venait de dire Paul, qui met le péché en lumière. Elle ne saurait, en même temps, le gommer ni même le faire oublier. Mais alors, pourquoi Paul insistait-il sur l’universalité de la culpabilité ? C’était pour rendre d’autant plus merveilleuse la gratuité de l’œuvre par laquelle Jésus, en son sang et en sa fidélité, nous met au bénéfice du pardon.
Cette gratuité, il va la reprendre au chapitre quatre, mais de façon pratique, en se rapportant à deux personnages hors du commun : Abraham et David.
Vous vous souvenez, je pense, du verset 21 du chapitre 3 et de ce fameux Mais maintenant qui mettait la loi hors jeu, si l’on peut dire, et rappelait que la justice nous est proposée, mais grâce à la seule fidélité de Jésus-Christ. Cette justice, ajoutait-il, est attestée dans la loi et les prophètes. On le sait, pour désigner l’ensemble de la révélation de Dieu dans les Saintes Écritures, Jésus, comme les Juifs, utilisaient l’expression : la loi, les prophètes et les psaumes. En 1.17, il s’était reporté aux prophètes en citant Habaquq : le juste par la foi, vivra. En se reportant à Abraham et à David, il se reporte au Pentateuque, la loi, et va citer David, l’auteur de la plupart des psaumes.
Pourquoi eux ? Il y a tant d’autres personnages dont l’histoire nous est rapportée dans les Écritures ! Mais, auprès des Juifs auxquels il s’adresse d’abord, aucun n’a la notoriété d’un Abraham. Dieu lui a rendu un témoignage unique. Genèse 26.5 rapporte cette déclaration : Abraham a obéi à ma voix, il a observé mes ordres, mes commandements, mes statuts et mes lois. Si quelqu’un avait pu revendiquer un quelconque mérite, n’était-ce pas lui ?
David, de son côté, fut aussi un modèle. Mais une chute retentissante : adultère et crime, avait eu de quoi le disqualifier. Pourtant c’est lui qui affirme la grâce du pardon.
Avant d’en dire davantage, nous lirons les 12 premiers versets de ce chapitre 4, :
1Que dirions-nous donc qu’Abraham notre ancêtre a obtenu selon la chair (autre manière de dire ‘en vertu de ses mérites’.)
[Le chapitre 3 commençait par la question : Quel est le privilège du Juif ? Ici, il demande : Quel est celui d’Abraham ? ]
Si, en effet, Abraham a été justifié par les œuvres, il a sujet de se glorifier. Mais, devant Dieu, il n’en est pas ainsi. 3En effet, l’Écriture dit :« Abraham crut à Dieu et cela lui fut compté comme justice. 4Or, à celui qui fait une œuvre, le salaire est compté non comme une grâce, mais comme un dû. 5Quant à celui qui ne fait point d’œuvre, mais croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est comptée comme justice. 6De même, David proclame le bonheur de l’homme au compte de qui Dieu met la justice, sans [les] œuvres : 7« Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées, et dont les péchés sont couverts : 8Heureux l’homme à qui le Seigneur ne compte pas son péché. » 9Ce bonheur n’est-il que pour les circoncis, ou est-il également pour les incirconcis ? Car nous disons : Pour Abraham la foi fut comptée comme justice. 10Comment donc était-il lorsqu’elle lui fut comptée ? Était-il circoncis ou non ? Il n’était pas encore circoncis, il était incirconcis .11Et il reçut le signe de la circoncision comme sceau de la justice (obtenue) par la foi, celle (démontrée) quand il était incirconcis, afin d’être, quoique incirconcis, le père de ceux qui croient afin que la justice leur soit [aussi] comptée. 12Et il est encore père des circoncis, non de ceux qui n’ont que la circoncision, mais de ceux qui, de plus, marchent sur les traces de la foi de notre père Abraham quand il était incirconcis.
La pensée de ce long paragraphe me semble très claire. Il demande cependant un peu de réflexion. J’ai suivi d’assez près la version à la Colombe parce qu’elle marque une différence qui n’apparaissait pas en Segond ni dans les autres versions. Il s’agit du mot grec logizomaï. Il signifie ‘compter, prendre en compte, tenir compte de’ … Mais lorsqu’il est suivi de la préposition grecque eis, il a pour sens ‘compter comme’. Or le verbe logizomaï apparaît onze fois dans le chapitre, ce qui permet de comprendre son importance. Il faudra y revenir.
Nous l’avons dit, si quelqu’un pouvait se vanter d’avoir mérité quelque chose de Dieu, Abraham serait retenu à coup sûr. Pourtant l’Écriture atteste que les promesses qui lui ont été faites ne l’ont pas été en fonction d’un quelconque mérite, mais en réponse à sa foi. Il a pris Dieu au mot ; il a cru à ce qui lui était promis. Il n’a pas douté, malgré les apparences contraires. Et c’est cette attitude de foi qui a été comptée comme justice. Rappelez-vous de ce que nous avons dit précédemment du billet de banque. Il n’a vraiment aucune valeur en soi. Pourtant, les commerçants nous les échangent contre une marchandise bien concrète. Pourquoi ? Théoriquement, parce que acheteurs et marchands pensent (à tort ou à raison) pouvoir faire confiance en la signature du Trésorier national tenu, en principe, de changer le bout de papier en métal précieux.
Or, même Abraham, devant Dieu, ne pouvait se vanter de rien. Mais il a cru. Suffit-il vraiment de croire ? Et là, vient la question : Mais croire, qu’est-ce que c’est au juste ? On le découvrira dans la seconde partie du chapitre. Mais ce que nous avons lu l’exprime déjà, en s’y opposant, ce que n’est pas la foi.
Ce n’est pas le fait de la circoncision. Le fait d’avoir été circoncis le huitième jour est, pour tout Juif, un acte d’obéissance. Est-ce cela qui lui garantit les promesses ? Certes, cela montre qu’il est juif, enfant d’Abraham, selon la chair. Mais Abraham n’a été circoncis que 14 ans après les promesses. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le salut ne peut donc en dépendre. Et un Juif qui n’est pas circoncis est un Juif quand même. Ce fut le cas de toute la génération née pendant la traversée du désert ! Les judéo-chrétiens, au temps de Paul, avaient réussi à persuader les Galates que l’on ne peut être sauvé sans la circoncision. Vous savez avec quelle vigueur Paul rejeta cette hérésie : Vous êtes séparés de Christ, vous qui cherchez la justification dans la loi ; vous êtes déchus de la grâce ! (Gal 5.4)
Il est facile, il me semble, d’en dire autant du baptême dit ‘chrétien’. Les uns se croient en règle avec Dieu parce qu’on leur a versé quelques gouttes d’eau sur le front lorsqu’ils étaient enfants ou ‘recommençants’. D’autres le croient pour avoir été plongés dans un baptistère ; comme si un geste symbolique avait le pouvoir de faire naître à la vie de Dieu ! D’autres sans négliger la foi nécessaire, pensent que l’on ne peut être sauvé sans y ajouter le symbole ! L’expérience d’Abraham les contredit. Abraham reçut les promesses 14 ans avant d’être circoncis !
La justification n’est pas non plus le fruit du respect de la loi. Si ce respect était nécessaire au salut, personne ne serait sauvé, parce que personne n’a parfaitement respecté la loi dans sa totalité. Pas même Abraham. D’ailleurs cet Abraham n’a pas connu la loi. Ce n’est que 4 siècles après lui qu’elle fut révélée et promulguée. L’argument est sans réplique. Abraham ne fut justifié ni par ses œuvres, ni en vertu de la circoncision, ni par le respect de la loi.
C’est par la foi seule que l’on peut être justifié, c’est clair ! Mais, une fois encore, qu’est-ce que la foi ?
Ce n’est pas seulement croire qu’une chose est vraie ; c’est manifester une confiance effective manifestée par un comportement transformé.
Cela, c’est avoir Abraham pour père. La mode, aujourd’hui est de dire que nous avons tous Abraham pour père ; tous les Juifs, bien sûr, mais aussi tous les chrétiens et tous les Musulmans. Et bien, c’est mal lire la Bible. Elle ne dit cela nulle part. Il est vrai que Abraham a reçu les promesses et a vu sa foi comptée comme justice, quatorze ans avant sa circoncision, pour pouvoir être père des incirconcis comme des circoncis, c’est-à-dire des païens comme des Juifs. Bien sûr, la Bible avait toujours considéré les Juifs comme prioritaires… mais relisez le verset 12. Même les Juifs circoncis ne peuvent se réclamer d’Abraham que si, à la circoncision, ils ajoutent une conduite digne d’Abraham : s’ils marchent sur les traces de la foi de notre père Abraham quand il était (encore) incirconcis. C’est la foi qui compte et qui est comptée !
Et David, dans tout cela ? Plus encore qu’Abraham, il démontre la gratuité du salut. Dieu qui l’avait comblé de façon magistrale avait toute raison de le rejeter après son péché, gravissime s’il en est. Or, c’est lui, qui, malgré sa double faute, écrit : Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées et dont les péchés sont couverts. Heureux l’homme à qui le Seigneur ne compte pas son péché.
Il n’est pas de péché, si grave soit-il, que le sang de Christ ne puisse couvrir. Paul, au chapitre trois, avait lié ce sang de Jésus au propitiatoire. C’est quand Dieu nous regarde à travers ce sang, qu’Il nous est propice et c’est à cause de ce sang qu’il peut nous considérer comme justes, de la justice du Christ. Il met cette dernière sur notre compte.
C’est le moment de revenir sur le verbe grec logizomaï. David, cité par Paul, dit qu’il est possible de savoir ses péchés pardonnés. Trois termes sont utilisés par David comme synonymes : les iniquités pardonnées, les péchés couverts, le péché non compté. Tout cela parle de la décision divine. C’est lui qui pardonne ; lui qui, en Jésus, couvre notre péché, lui qui regarde la justice manifestée en Jésus, comme si c’était la nôtre.
Mais tout est-il fait en cela ? Non, Paul montrera, surtout au chapitre 6, que la justice qu’il compte, au lieu d’être seulement celle du Christ comptée « comme si c’était » la nôtre, doit devenir notre justice ‘prise en compte’. Mais il ne l’explicite pas encore, sinon de façon indirecte au dernier verset du chapitre.
Nous avons vu ce que Dieu n’a pas retenu en faveur d’Abraham. Nous avons compris que seule, sa foi justifia les promesses qui lui avaient été faites. Il est temps de voir ce que cette foi fut réellement.
Lisons à partir du verset 13 :
13En effet, ce n’est point par la loi que l’héritage du monde a été promis à Abraham ou à sa descendance, c’est par la justice de la foi. 14 Si c’est par la loi qu’on est héritier, la foi est vaine, et la promesse est annulée. 15Car la loi produit la colère et là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas non plus de transgression. 16Donc, c’est par la foi pour qu’il s’agisse d’une grâce, afin que la promesse soit assurée à toute la descendance, non seulement à celle qui possède la loi, mais aussi à celle qui est au bénéfice de la foi d’Abraham notre père à tous, selon qu’il est écrit : « Je t’ai établi père d’un grand nombre de nations devant Dieu qui fait vivre les morts et appelle comme existante les choses qui n’existent pas. 18Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi père d’un grand nombre de nations selon ce qui avait été dit : « Telle sera ta descendance » 19Et sans faiblir dans la foi, il considéra son corps presque mourant, puisqu’il avait près de cent ans, et le sein maternel de Sara déjà atteint par la mort. 20Mais face à la promesse de Dieu, il ne douta point par incrédulité, mais fortifié par la foi, il donna gloire à Dieu 21pleinement convaincu de ceci : ce que (Dieu) a promis, il a aussi la puissance de l’accomplir. 22C’est pourquoi cela lui fut compté comme justice. 23Mais ce n’est pas à cause de lui seul qu’il est écrit : « cela lui fut compté », 24c’est à cause de nous à qui cela sera compté, nous qui croyons en celui qui a ressuscité d’entre les morts, Jésus notre Seigneur 25livré pour nos offenses et ressuscité pour notre justification.
Prenons encore le temps de nous interroger sur cet exemple incroyable que fut Abraham. Croire en la promesse de Dieu, pour lui, c’était croire en l’impossible, d’autant que pas mal d’années s’écoulèrent entre la promesse initiale et l’annonce ‘pour dans un an’, de l’accomplissement. On sait qu’il se demanda, sur la suggestion de sa femme Sarah, si ce n’était pas à travers la coutume qui voulait que la femme stérile donne sa servante à son mari, que Dieu prévoyait de lui donner l’enfant ! Son doute n’avait porté que sur la manière, non sur le contenu.
Sa femme était stérile et âgée. Lui avait près de 100 ans. Il savait tout cela. Il avait froidement tout considéré ; ou « Il ne le considéra pas », selon certains manuscrits importants. De toute manière, il lui fallait croire à l’impossible, et il crut. Nous savons que cette foi, près de vingt ans plus tard, allait devoir affronter une impossibilité plus tangible encore. Une fois l’enfant enfin donné par Dieu, le Seigneur le lui redemanderait. Ne serait-ce pas la fin de la promesse ? S’il sacrifiait son fils, il faudrait que Dieu le ressuscite, parce que c’est par cet enfant-là, non par un autre, que Dieu avait promis d’agir pour lui. Dieu l’a fait, en quelque sorte selon la foi d’Abraham. Dans sa galerie des hommes de foi, l’épître aux Hébreux le rappelle :
C’est par la foi qu’Abraham offrit Isaac, lorsqu’il fut mis à l’épreuve, et qu’il offrit son fils unique, lui qui avait reçu les promesses, et à qui il avait été dit : « En Isaac sera nommée pour toi une postérité. » Il pensait que Dieu est puissant, même pour ressusciter les morts ; aussi le recouvra-t-il par une sorte de résurrection. (11.17-19).
La chose est rapportée aussi par Jacques, le frère du Seigneur, pour montrer que la foi qui n’est qu’une croyance ne sert à rien et ne peut sauver, qu’elle n’est vraiment utile que lorsqu’elle se démontre comme authentique par l’engagement. C’est là, au moment de sacrifier Isaac, qu’Abraham a fait la preuve de la réalité de sa confiance en Dieu et en ses promesses. On est loin de la croyance des démons. Eux aussi croient… ils savent, mais ils tremblent.
Le lien avec la résurrection, dans le dernier verset du chapitre 4 de Romains, est une sorte d’ouverture sur l’enseignement que Paul donnera deux chapitres plus loin.
Disons seulement pour conclure, que la foi qui s’empare de la propitiation, du rachat accompli par la mort de Jésus, cette foi que Dieu regarde comme justice, Dieu la tient pour telle. Mais il est une foi, de même nature, cependant tournée plus avant. Celle-là regarde à la résurrection de Jésus et s’en empare. Cette résurrection qui démontra la parfaite innocence du Christ, cette foi, tournée vers l’avant, s’en empare, la fait sienne. En réponse à celle-là, le croyant n’est plus seulement regardé comme juste ; la justice même de Dieu lui est comptée.
La question la plus importante que nous puissions nous poser au regard de l’enseignement de Paul entrevu jusqu’ici est celle de la nature et de l’objet de notre foi. Tout le reste en dépendra. Méditons l’exemple d’Abraham et marchons sur ses traces.