LE PROPRE JUSTE
Romains 2.1-16
Dans le premier chapitre de l’épître aux Romains, après avoir défini son appel et exprimé le désir de venir partager un encouragement commun à Rome, Paul a fait le procès des païens.
Le tableau est terrifiant, mais ne saurait étonner aujourd’hui qui que ce soit, tant les désordres que l’apôtre constate et dits découler de l’impiété sont devenus monnaie courante. Depuis les désirs satisfaits de façon incontrôlée aux perversions passionnées et de ces passions à une mentalité pervertie incapable de reconnaître le bien du mal, la chute progressive dans le mal appelle et justifie une condamnation sans équivoque. Paul dit ici les païens inexcusables parce que la vérité n’est pas voilée. C’est délibérément que le mensonge lui a été préféré. Paul terminera le réquisitoire, affirmant qu’ils connaissent le jugement de Dieu, qu’ils savent que la pratique de ces perversions est digne de mort. Pourtant, ils les commettent et même, approuvent ceux qui les pratiquent. Terrible ! Hélas si vrai !
Ils savent. Pourtant, ils s’y livrent et approuvent…
La portion que nous allons commenter aujourd’hui ouvre un nouveau procès par une constatation différente, mais tout aussi dramatique. Loin d’approuver, d’autres condamnent… mais ne se rendent pas moins pareillement coupables, eux aussi !
Lisons 2.1 à 11 : Ô homme, qui que tu sois, toi qui juges tu es donc inexcusable… Celui que Paul prend ici à partie, ce n’est plus le païen qui, dans la nature, a reçu de Dieu la capacité de reconnaître son existence, sa grandeur et sa sagesse mais vit comme s’Il n’existait pas en justifiant tous les désordres… c’est celui qui juge autrui du haut de sa propre justice et qui, pourtant ― nous essayerons de voir comment ―, pratique les mêmes choses. Pour celui-là, même verdict : Tu es donc inexcusable ! car, en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, tu fais les mêmes choses. Nous savons, en effet, que le jugement de Dieu contre ceux qui commettent de telles choses est selon la vérité. Et penses-tu, ô homme qui juges ceux qui commettent de telles choses et qui les fais, que tu échapperas au jugement de Dieu ?
Paul a changé de style. Il pratique maintenant la diatribe, s’adressant directement à la seconde personne à celui dont il établit la culpabilité. Oh ! sans doute, celui-là dira-t-il qu’il est loin de se conduire comme les païens. Et sans doute, ne va-t-il effectivement pas aussi loin que les païens du premier chapitre ! C’est la personne qui dirait aujourd’hui « Je n’ai ni tué ni volé. Je ne fais de mal à personne » et se croit juste pour autant. Cependant, selon les mots de Jésus dans le sermon sur la montagne, il n’a pas commis adultère, mais il ne se prive pas de déshabiller du regard la femme de son prochain et de la convoiter ; il n’a tué personne, mais il ne se gêne pas pour traiter les uns d’insensés, les autres de stupides. Or, Jésus, vous le savez, affirmait les uns et les autres dignes de la même condamnation !
Celui de Romains 2.1 n’est pas un homosexuel pratiquant, ni un idolâtre ―même s’il porte peut-être un culte à sa voiture, à son compte en banque ou à une vedette quelconque du sport ou du cinéma. Mais échappe-t-il vraiment au portrait que faisait Paul de ceux dont la déchéance s’exprime en toutes sortes d’injustice, de méchanceté, de cupidité, de malice, d’envie, de querelle, ruse ou malignité ? N’est-il jamais ni rapporteur, ni médisant, ni impie, ni arrogant, hautain, fanfaron, ingénieux au mal, rebelle aux autorités, etc. ?
Et pour remonter à la source, est-il exempt de toute impiété ? Fait-il à Dieu la place qui lui revient ? Jacques écrivait (2.10) qu’il n’est pas nécessaire de violer tous les aspects de la loi pour être coupable envers elle ! Pour se trouver en terrain défendu, il suffit de sauter la barrière en un seul endroit !
En quelque sort, Paul écrit : En jugeant les autres, tu prouves que Dieu a mis en ton esprit ou ton cœur, le sens de ce qui est juste ou non. Dès lors, quand tu pèches, tu es inexcusable !
Penses-tu ô homme que toi ― on ne sait pourquoi, toi ― tu échapperas au jugement de Dieu ?
C’est, me semble-t-il, le moment de nous interroger sur les raisons qui expliquent l’endurcissement de l’impie. Qu’est-ce qui lui fait oublier le jugement ultime de Dieu ?
La réponse a été donnée par Salomon, dans le livre de l’Ecclésiaste. Au chapitre 8, verset 11, on trouve, en effet, cette affirmation :
Parce qu’une sentence contre les mauvaises actions ne s’exécute pas promptement, le cœur des fils de l’homme se remplit en eux du désir de faire le mal.
Il faut bien l’admettre ― Asaph et Job en ont déjà été troublés ―, on ne voit pas le malheur fondre sur les méchants, ni la réussite accompagner les justes ! C’est bien souvent plutôt le contraire !
On peut également penser à ceux que mentionnait Pierre dans sa seconde épître : …des moqueurs avec leurs railleries, marchant selon leurs propres convoitises, et disant : Où est la promesse de l’avènement (du Seigneur) ? Car, depuis que les pères sont morts, tout demeure comme dès le commencement de la création (2 Pi 3.3,4).
En d’autres termes, Dieu menace, mais rien n’arrive… Troublant, non ?
Paul poursuit ainsi sa diatribe : Penses-tu que tu échapperas au jugement de Dieu ? Ou méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité, ne reconnaissant pas que la bonté de Dieu te pousse à la repentance ?
La voilà, la clé. Déjà l’Ecclésiaste, après avoir dit que quoique le pécheur fasse cent fois le mal et y persévère longtemps,… ajoutait : Mais le bonheur n’est pas pour le méchant…
Et Pierre, en réponse aux railleurs, affirmait : Le Seigneur ne tarde pas dans l’accomplissement de sa promesse (celle de l’avènement qui est la délivrance des siens, et le jugement des impies) mais il use de patience envers vous n’ayant décidé pour aucun qu’il périsse, mais voulant que tous aient accès à la repentance (2 Pi 3.9).
La patience de Dieu, sa bonté, voilà qui explique la longue impunité provisoire. Mais qu’il serait insensé de croire pour autant que l’on échappera aux conséquences de ses fautes !
De fait, j’avais l’intention de m’arrêter précisément sur les deux réactions possibles à la patience née de la bonté de Dieu. Notons d’abord les mots de Segond ‘patience’ et ‘longanimité’. Dans l’original, le premier est presque un hapax. Il n’est utilisé que deux fois dans tout le Nouveau Testament. Il signifie une trêve ; le second parle à la fois de patience et de persévérance. Ce que méprise celui qui se croit à l’abri du jugement de Dieu, est la trêve patiente et persévérante de Dieu.
Ce mépris est l’une des réactions possibles à la bonté patiente de Dieu. C’est l’arrogance. Le résultat en est, hélas, aussi inévitable que terrifiant. Nous le verrons.
L’autre réaction possible, c’est la repentance libératrice.
Reprenons le texte au verset 4 : … ou méprises-tu les richesses de sa bonté, de sa trêve patiente et persévérante, ne reconnaissant pas que la bonté de Dieu te pousse à la repentance ?
Mais, par ton endurcissement et par ton cœur impénitent (refus de te repentir), tu emmagasines un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses œuvres.
Le choix de l’indifférence, les haussements d’épaule, le mépris de la trêve provoque chez Dieu comme l’accumulation progressive d’une somme terrible de colère. Paul (quasi certainement) écrit aux Hébreux : c’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant (10.31). Or, c’est à de vrais croyants qu’il l’écrit. Qu’en sera-t-il des impies ?
Le choix qu’impose l’impunité provisoire des comportements impies est : ou l’endurcissement et l’arrogance et tomber un jour entre ses mains, ou bien reconnaître que sa patience nous conduit à tomber à ses pieds repentants !
Il rendra à chacun selon ses œuvres. Cela veut-il dire que nos œuvres peuvent ou nous perdre ou nous sauver ? Non. Aucune somme d’œuvres même bonnes ne pourra jamais nous sauver, car une seule œuvre mauvaise suffit à nous perdre.
Ce que cela signifie, c’est que Dieu ne nous jugera pas sur nos croyances ou sur nos prétentions, mais selon la vérité manifestée par des actes. Ce ne sont pas nos convictions, notre confession de foi, ou notre appartenance à une église qui nous sauveront. C’est la manière dont nous aurons traduit nos connaissances ou convictions dans le comportement, car c’est ainsi seulement que nous en prouverons l’authenticité.
Dieu rendra à chacun selon ses œuvres, réservant la vie éternelle à ceux qui, par la persévérance à bien faire, cherchent l’honneur, la gloire et l’immortalité…
Ne confondons surtout pas. Il ne s’agit pas de chercher les honneurs ni ce qui nourrirait la gloriole humaine, mais de chercher ce qui est immortel : l’honneur de Dieu et SA gloire qu’Il promet un jour de partager avec ceux qui L’aiment.
Pour les autres, c’est l’irritation et la colère qui sont réservées à ceux qui, par esprit de contestation, sont rebelles à la vérité mais dociles à l’injustice. Détresse et angoisse sur toute âme d’homme qui travaille au mal… le Juif premièrement, puis le Grec. Gloire, honneur et paix pour quiconque travaille au bien, le Juif premièrement, puis le Grec. Car devant Dieu il n’y a point de partialité.
Dieu jugera. L’oublier a des conséquences gravissimes. Pourtant, le dire n’est plus à la mode, même si l’on ne chante plus guère « Nous irons tous au paradis ». On préfère s’attendrir et inviter à s’attendrir sur la bonté de Dieu, sans rappeler que cette bonté a pour objet de nous conduire à la repentance. J’ai sans doute déjà dit que la repentance a trois volets.
Le premier concerne le passé. Il s’agit de le confesser : reconnaître dans ma vie avec une profonde tristesse tout ce qui n’a pas glorifié le Créateur ou a été violation de ses lois.
Le deuxième volet est une démarche de confiance en l’œuvre de salut accomplie en Jésus-Christ et une humble quête du pardon divin.
Le troisième concerne l’avenir. C’est l’expression d’une ferme volonté de vivre désormais autrement, avec le secours de Dieu.
C’est cela qu’Il attend de tous les hommes et c’est pour cela qu’il patiente encore et encore depuis près de 10 000 ans !
Mais là où il y a refus de sa main tendue, il y aura le jugement. Il jugera, dis-je, mais comment, au nom de quels critères ? Nous avons lu qu’il jugera chacun selon ses œuvres ; et nous avons dit comment il faut le comprendre. Le paragraphe qui va du verset 12 au verset 16 apporte, je crois, quelques lumières sur la manière dont Dieu jugera.
Tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi, et tous ceux qui ont péché avec la loi seront jugés par la loi. Ce ne sont pas, en effet, ceux qui entendent la loi qui sont justes devant Dieu, mais ce sont ceux qui la mettent en pratique qui seront justifiés.
Nous l’avons dit. Ce qui manifeste l’authenticité de la foi, c’est sa mise en pratique. La connaissance de la loi, voire même le fait d’y prêter l’oreille ne fait pas de nous des disciples. Jésus disait : Si vous demeurez (si vous persévérez) dans ma Parole ; vous êtes vraiment mes disciples (Jn 8.31). Certes, ce n’est pas la persévérance qui sauve. Mais c’est elle seule qui démontre que l’on a vraiment accueilli les propositions divines.
On a souligné qu’il est dit que ceux qui ont péché sans la loi périront sans elle. Cela voudrait-il dire que de ceux-là, personne ne saurait être sauvé ? Je ne crois pas que l’on puisse aller jusque-là. Par contre, il semble certain que Paul veut dire qu’ignorer la loi ne rend pas innocent.
Écoutons l’argument : Quand les païens, qui n’ont point la loi, font naturellement ce que prescrit la loi, ils sont, eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-mêmes ; ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leurs cœurs, leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour.
Ce que nous devons comprendre par ces mots, c’est que personne n’est véritablement sans loi. La loi de Moïse ne peut justifier, puisque son rôle est, au contraire, de faire connaître la réalité du péché. C’est ce que Paul dira au chapitre 3. Mais même le païen se sait coupable d’infraction d’une loi intérieure que représente sa conscience, c’est-à-dire le sentiment naturel de ce qui est bien ou mal. Même déformée ou quasi éteinte, la conscience défend parfois mais accuse également. En sorte que, avec ou sans la connaissance de la loi de Moïse, l’homme est coupable devant Dieu.
C’est, ajoute Paul, ce qui paraîtra au jour, où selon mon évangile, Dieu jugera par Jésus-Christ les actions secrètes des hommes.
Les actions secrètes, ce sont peut-être les choses faites sans témoin, mais c’est surtout, comme nous l’avons dit, ce qui ne se voit pas, les sentiments éprouvés intérieurement, les convoitises que nous avons dissimulées mais entretenues, ce qui n’a jamais été dit mais qui a occupé nos pensées… Voilà ce qui doit nous convaincre, qu’il n’y a pas de partialité, que le Dieu qui lit au-dedans de nous est parfaitement juste, quel que soit notre degré de responsabilité.
circonstances Le jugement de Dieu ne peut qu’être absolument juste. D’une part, parce qu’Il est Dieu. D’autre part, parce qu’il nous connaît parfaitement au-delà des apparences. Rien, dans son jugement, ne saurait être oublié. J’aime à ajouter qu’Il sait même parfaitement ce que nous aurions fait ou non dans des circonstances ou des contextes différents. Et il en tiendra compte.
Je pense à ce que Jésus disait à Bethsaïda, Chorazin et Caprenaüm : Malheur à toi... car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles se seraient repenties, en prenant le sac et la cendre. C’est pourquoi, je vous le dis, au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous (Mtt 11.21,22).
Oui, Dieu tiendra compte, même des ‘si’. Cela devrait répondre à bien des questions que nous nous posons relativement au jugement à venir.
Mais la connaissance et la foi en la justice absolue de Dieu et en sa bonté illimitée ne sont-elles pas suffisantes pour bannir toute question et nous ramener à la question essentielle : Quel choix ai-je fait, quant à moi : le mépris de Sa patience et l’arrogance ou l’humble repentance ?