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SE DÉPOUILLER POUR ÊTRE REVÊTU
13.8-14
Avec le chapitre 13, nous nous sommes penchés sur les devoirs du chrétien dans le cadre de sa communauté, puis sur les devoirs entre chrétiens et, la semaine dernière, sur les devoirs envers les autorités.
Je vous ai dit que la soumission recommandée par l’apôtre n’enthousiasme guère les commentateurs compte-tenu du fait que ceux qui nous dirigent, loin d’encourager toujours le bien ou de punir le mal, en viennent souvent à faire le contraire. De là le rappel d’un principe évangélique : il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes lorsque les lois humaines s’opposent à sa volonté. Le principe de l’autorité est cependant voulu de Dieu, de sorte que, réserve faite du motif de conscience, nous devons, à ceux qui l’exercent, obéissance et respect. Paul l’exprimait ainsi au verset 7 :
Rendez à tous ce qui leur est dû : l’impôt à qui vous devez l’impôt, le tribut à qui vous devez le tribut, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur.
C’est à partir de cette exhortation : Rendez à tous… que Paul va introduire le devoir de l’amour : Ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer. Ce n’est pas un simple jeu de mot. C’est la poursuite logique de l’exposé. Car en écrivant : rendez à tous… on comprend que Paul déborde la question des dettes financières. Si l’impôt est une dette envers tous, puisque, au moins théoriquement, réservé à couvrir les dépenses publiques faites pour tout le peuple (construction de routes, écoles, hôpitaux…), la crainte et l’honneur, eux, ne sont pas dus aux seuls fonctionnaires ! C’est une dette envers tous !
Mais ce n’est pas la seule. Voilà qui permet de passer des devoirs envers les autorités au devoir suprême dont Paul, en disant ne devez rien veut dire, en fait : « réglez-les ».
Régler ses dettes devrait être une évidence. Malheureusement, l’économie croit devoir favoriser le crédit et l’essentiel de la publicité s’y rattache. Assez fréquemment, les offres s’accompagnent, par exemple, de ce qui est appelé un privilège : « Ne payez rien avant… » Cela ne fait que nourrir la pensée qu’avoir des dettes est normal.
Mais voilà, il en est une que l’on n’éteindra jamais. Et celle-là, sans doute plus que toutes les autres, il serait dramatique de l’oublier. Ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres. Paul ne disait là rien de nouveau. Jésus l’avait dit à maintes reprises et Il citait la loi. La comparaison avec la loi est aussi dans la pensée de Paul, puisqu’il ajoute en effet : car celui qui aime a accompli la loi. Veut-il dire que celui qui aime a obéi à tous les commandements ? Il y a certainement plus, car le verbe ‘accomplir’, en grec signifie aussi compléter, rendre parfait. Ainsi, il ne s’agit pas d’opposer l’amour à la loi, mais de découvrir qu’il l’accomplit, qu’il la rend pleine. L’amour est comme la tête de la loi. C’est le sens du mot qu’il va utiliser quand il dira que tous les commandements se résument en un seul. « Résumer », ici, c’est mettre tout sous un même chapeau, sous une même tête. Lisons le texte :
En effet, les commandements : Tu ne commettras point d’adultère, tu ne tueras point, tu ne déroberas point ; tu ne convoiteras point, et ceux qu’il peut encore y avoir, se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait pas de mal au prochain : l’amour est donc l’accomplissement de la loi.
C’est évident, si j’aime réellement mon conjoint, je ne saurais le tromper ! Si j’aime mon voisin, je ne saurais le tuer ni dérober ce qui est à lui ; ni même regarder avec envie ce qui lui appartient ! Je ne réjouirai plutôt de ce qu’il en ait la jouissance !
Il est facile, normalement, d’aimer sa femme, ses enfants, ses proches. Et la loi parle d’aimer le prochain ; cela déborde le ‘proche’. On n’a évidemment pas oublié la parabole du Bon Samaritain, proposée pour répondre à la question : « Et qui est mon prochain ? ». On la commente souvent comme si elle voulait dire que le prochain est l’homme abandonné blessé sur la route. Ce n’est vraiment pas ce que dit le texte : Le prochain, répondit le docteur de la loi, c’est celui qui a exercé la miséricorde.
Aimer celui-là, n’est vraiment pas un exploit. Cependant, selon Jésus, la loi était comprise comme signifiant : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (Mtt 6.43). Jésus, au contraire, introduisait une dimension nouvelle : Aimez vos ennemis. Notre amour ne peut donc se limiter à ceux qui nous font du bien. Il disait encore, un peu plus loin : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? En d’autres termes : que faites-vous d’extraordinaire ? En quoi est-ce une bonne action ?
On peut donc voir que l’apôtre, ici, parle de l’amour comme étant quelque chose de plus que l’expression de la reconnaissance. En effet, quand il disait : Ne devez rien à personne, il faut y voir l’équivalent de : Rendez à tous… C’est envers tous que nous avons cette dette d’aimer. Et non d’un amour en paroles seulement, mais traduit dans les actes. L’apôtre le dira ailleurs. On est sans nul doute reporté à juste titre à la première lettre aux Thessaloniciens 3.12 : Que le Seigneur fasse croître et surabonder l’amour les uns envers les autres et envers tous comme nous aussi envers vous.
Ailleurs, et très justement, l’amour prend sa forme pratique. En Philippiens 2.3, il écrit : Que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres.
Certains manuscrits n’ont pas le mot ‘aussi’. Se trouvait-il dans l’original ? Ce n’est donc pas sûr. Dans la première épître aux Corinthiens au chapitre 13, peut-être le plus célèbre de la Bible, et au verset 4, Paul affirme : l’amour ne cherche pas son intérêt. Et j’aime aller en 10.24 de la même lettre où ce mot ‘aussi’ de Philippiens 2 ne se trouve certainement pas et où le verbe invite à aller plus loin. Là, Paul dit : Que personne ne cherche son propre intérêt, mais que chacun cherche celui d’autrui. ‘Considérer’, c’est prendre en compte, respecter. Chercher l’intérêt des autres, c’est plus, c’est vouloir le trouver pour le satisfaire. Nous sommes, ici bien au-delà de la loi.
Les commandements que Paul donne en exemple sont extraits de la seconde table. Ils concernent la relation à autrui (alors que la première considérait la relation avec Dieu). Cette relation à autrui, on pourrait dire que Jésus la résumait ainsi : « Ne faites pas aux autres ce que vous n’aimeriez pas que les autres vous fassent ». Or, dans le même discours qui lui a fait dire : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? ce qu’il dit, ce n’est pas le contraire, mais c’est l’inverse : Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux (Luc 6.31 ; Mtt 7.12). On est passé du ‘ne fais pas’ au ‘fais-le’. Ce n’est plus ne pas rendre le mal pour le bien, mais pas non plus rendre le bien pour le bien, c’est aller au-devant du besoin d’autrui, c’est le chercher pour y répondre.
Avec l’amour, nous sommes, bien sûr, encore dans la relation à l’autre. Mais qu’en est-il de notre relation au Tout Autre et de notre relation avec nous-mêmes ? Paul va y passer maintenant avec une très rapide mention de la perspective eschatologique et de ce qu’elle implique :
Cela importe d’autant plus que vous savez en quel temps nous sommes : c’est déjà l’heure d’être réveillé du sommeil. En effet, le salut est maintenant plus près de nous que lorsque nous avons cru. La nuit est avancée, mais le jour est proche. (v.11)
Quand il dit : le jour est proche, Paul fait référence au Jour de l’Éternel. Ce jour dont Jean eut la vision et qu’il nous rapporte dans l’Apocalypse. Lorsqu’il écrit aux Romains, Paul est en droit de l’attendre comme imminent. Il est vrai que Jésus n’avait pas donné de date, mais il n’avait pas cessé de parler du Royaume comme étant proche et Paul, à son arrivée à Rome, donc après la rédaction de cette lettre, annonçait encore le royaume de Dieu, cette espérance d’Israël (Actes 28.20, 23). En d’autres termes, il n’avait pas encore eu la révélation de la parenthèse que représente la mise de côté provisoire d’Israël pour cause d’incrédulité, trébuchement qui allait ouvrir une bien longue parenthèse. On le sait, Étienne, lors de sa lapidation, voyait encore Jésus debout (Ac 7.55), c’est-à-dire, si je comprends bien, encore prêt à revenir rapidement. C’est plus tard seulement que Paul dira Jésus ‘assis à la droite de Dieu’.
Oui, la parenthèse est longue, Paul a écrit cela il y aura bientôt 2000 ans ! Pouvait-il se douter que l’attente en durerait des siècles ? Probablement pas ; cependant, bien que ne connaissant pas la date de son avènement, Jésus l’avait lui-même laissé entendre dans plusieurs de ses paraboles. Je rappellerai seulement, pour mémoire, l’affirmation : longtemps après, le maître revint…(Mtt 25.19) ou en 24.48, la parole du méchant serviteur : Mon maître tarde à revenir…
Quelle en est la leçon ? Partout, c’est la nécessité de veiller. De là cette constatation : c’est déjà l’heure d’être éveillé (ou réveillé) du sommeil. Je ne pense pas que Paul ait cru les croyants de Rome particulièrement ensommeillés. Il ne leur en fait nulle part le reproche. Mais il s’agit là d’une vérité qui concerne tout chrétien et dans tous les temps. Paul écrit : vous savez en quel temps nous sommes. Oui, parenthèse mise à part, le Seigneur avait juste à aller préparer une place pour les siens avant de venir les prendre avec lui pour instaurer avec eux son règne, ce royaume dont Jean-Baptiste, Jésus lui-même et les apôtres avaient proclamé qu’il s’était approché. N’est-ce plus vrai pour nous ? Que si et plus que jamais.
Paul semble présenter une lapalissade, lorsqu’il dit : … car maintenant le salut est plus près de nous que lorsque nous avons cru. Mais il me semble qu’il parle moins du temps qui passe et nous rapproche forcément de plus en plus de la perspective eschatologique, que d’une sorte de proximité ‘géographique’, voulant dire : plus accessible, plus à notre portée. Et cela est vrai si nous donnons au salut tout son sens, c’est-à-dire en englobant tout ce qu’il implique. Jésus, la veille de sa mise à mort, disait aux siens : J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant… Le salut dans tous ses aspects est d’une telle richesse que c’est progressivement que l’Esprit saint les a révélés. Et dans les épîtres aux Galates et dans celle qu’il écrivait aux Romains, il y avait déjà bien plus que dans les évangiles et même que dans ses premières lettres. De quoi veiller d’autant plus fermement. Pourquoi ? Également parce que la nuit est fort avancée, le jour est proche. Tout l’enseignement biblique nous fait comprendre que le Jour sera précédé d’une nuit profonde. Déjà Ésaïe le faisait dire à la sentinelle : Le matin vient, la nuit aussi (Es 21.12). Il y a la promesse et nous sommes invités à lever nos têtes parce que notre délivrance est proche (Lc 21.28), mais la nuit aussi. C’est un appel à veiller d’autant plus que la nuit invite au sommeil. L’expérience confirme cela de façon tragique. Le mal sous bien des formes s’introduit jusque dans les églises. Le laxisme moral gagne le comportement d’un grand nombre. En Luc 21.28, Jésus avait renversé l’ordre. Il avait d’abord dépeint la nuit avant d’inviter à lever les yeux pour regarder à la délivrance. Les deux sont vrais. Veiller c’est peut-être avant tout attendre, mais c’est aussi savoir discerner les dangers pour rester debout.
Et ici viennent les exhortations relatives à notre vie intérieure : Dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres, et revêtons les armes de la lumière (v.12). L’image de se dévêtir et de se revêtir est assez fréquente chez Paul. Il faut surtout souligner que se dépouiller ne va pas sans se revêtir. Se dépouiller du vieil habit n’a d’utilité que si c’est pour revêtir un habit neuf. On a dit à juste titre qu’ici l’habit fait le moine. Car il ne s’agit pas d’endosser une enveloppe extérieure, mais une personne, pour une transformation interne profonde. Comme l’apôtre l’a longuement commenté au chapitre 6, il s’agit de se reconnaître comme mort pour revêtir le Seigneur Jésus-Christ et pouvoir dire avec Paul : J’ai été crucifié avec Christ, et si je vis, ce n’est plus moi qui vis mais Christ en moi (Gal 2.20).
Laisser tomber les œuvres des ténèbres, c’est tout simplement impossible si nous n’avons pas, conjointement revêtu les armes de la lumière. Le mot ‘armes’ (grec hopla) peut surprendre. On ne s’habille pas avec des armes ! En 6.19 il est traduit ‘instrument’. Les armes n’ont d’efficacité que si elles sont saisies et utilisées. De même nos membres n’ont aucune chance de servir Dieu que s’ils lui sont abandonnés. C’est lui qui peut les rendre utiles pour la cause de la lumière. Si notre être entier est remis entre les mains de notre Seigneur ; si c’est Lui qui vit en nous, alors l’exhortation n’est plus une cible inatteignable : Marchons dignement (ou décemment), comme en plein jour, loin des orgies et soûleries, de la luxure et de la débauche, des querelles et des jalousies (v. 13).
Les excès, les fautes morales, celles du comportement envers les autres, sont ainsi brièvement récapitulées. C’est tout cela qui doit avoir disparu si, comme il le dit aussitôt après, nous nous sommes revêtus du Seigneur : Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ. Tout n’est-il pas dit ? Non bien sûr.
Mais le secret est clairement révélé. Il nous appartient de laisser tout ce qui est des ténèbres, en nous aussi bien qu’en dehors de nous, pour laisser le Christ agir en nous et par nous. Notre capacité, c’est lui. Même le vouloir… du moins si nous le partageons ! Hélas, bien souvent, au lieu d’un vouloir solide nous nous préoccupons encore de ce qui peut susciter ou satisfaire en nous la convoitise. Paul termine ainsi le paragraphe : Ne prenez pas soin de la chair (ce serait en exciter) les convoitises.
Dans mon commentaire, j’ai rapporté l’anecdote de l’enfant à qui sa mère avait défendu d’aller se baigner à la rivière. Or, quand il sort de la maison, le caleçon de bain dépasse de sa poche. Aux interrogations de sa mère, il répond : « Non, non, je ne vais pas me baigner. Si j’ai pris le maillot, c’est seulement pour le cas où je serais tenté ».
Avons-nous fait le vide de tout ce qui pourrait nous tenter ? Ou bien acceptons-nous plus ou moins l’idée de succomber peut-être ? Là où les ponts ne sont pas coupés, les liens tranchés, les camps bien définis, n’espérons pas la victoire.
Ne laissons pas s’écouler de temps avant de nous être posé cette question : « Me suis-je réellement détourné de ce qui est des ténèbres ? Me suis-je vraiment revêtu du Seigneur Jésus-Christ et de ses armes ? »