UN MYSTÈRE MAINTENANT RÉVÉLÉ
16.21-27
Nous terminons aujourd’hui notre série de prédications sur l’épître aux romains. On l’a compris, elle est d’une richesse exceptionnelle.
Nous avons vu qu’après une longue liste de personnes auxquelles Paul adresse ses salutations en s’efforçant d’ajouter quelques mots d’appréciation au plus grand nombre d’entre elles, Paul a peut-être reçu des nouvelles inquiétantes au sujet d’un danger auquel ses destinataires seraient exposés ? C’est possible. En tous cas, de façon assez abrupte, il les a mis en garde contre de faux docteurs qu’il ne définissait que par leurs manières d’agir, fréquentes chez les créateurs de divisions et de scandales. Ce sont de beaux parleurs, des flatteurs, qui séduisent les simples pour leurs propres intérêts charnels. Intérêts que l’apôtre résume par ses trois mots : leur propre ventre. La seule attitude à l’égard de tels hommes a été exprimée par l’impératif : éloignez-vous d’eux ! et non : ‘séparez-vous’, ce qui fait comprendre qu’ils n’étaient sans doute pas encore vraiment déjà présents au sein des communautés.
Mais le danger était réel, et il l’est toujours autant pour nous, aujourd’hui. Paul connaissait cependant l’obéissance de ses destinataires, fit suivre son exhortation à la vigilance de l’affirmation magnifique que nous avons commentée dimanche dernier : Le Dieu de paix écrasera bientôt Satan sous vos pieds. La ruine finale et définitive de l’Ennemi séculaire de Dieu et des hommes impies est la perspective théologique qui a été et demeure l’attente et la consolation de l’Eglise universelle depuis la promesse faite à nos premiers parents à travers la condamnation du serpent ancien : La postérité de la femme t’écrasera la tête… Nous nous sommes émerveillés de l’honneur qui nous est fait d’y être associés par ces mots de Paul : Dieu écrasera bientôt Saran sous vos pieds.
Ayant dit cela, Paul revient aux salutations, mais cette fois pour citer ceux qui sont avec lui et qui se joignent aux siennes :
Timothée, mon collaborateur, vous salue, ainsi que Lucius, Jason et Sosipater, mes parents.
Timothée nous est évidemment bien connu. C’est un de ses enfants spirituels, rencontré à Lystre et emmené dans plusieurs de ses déplacements. Les deux lettres qu’il lui écrira nous en apprennent beaucoup sur les liens étroits qui les unissaient.
Pour Jason et Sosipater, on ne sait rien de certain. Paul les dit ses ‘parents’, mais cela peut signifier simplement qu’ils partagent la même nationalité.
Et là, peut-être profitant d’une pause dans la dictée de la lettre, ou bien sous la suggestion de Paul, Tertius, son secrétaire introduit une note personnelle. ‘Tertius’ signifie ‘Troisième’. C’est un nom plutôt commun qui fait penser qu’il pourrait être un esclave. Certains d’entre eux étaient formés à l’usage d’une sorte d’écriture sténographique. Il ajoute donc :
― Je vous salue, moi, Tertius qui ai écrit la lettre, dans le Seigneur ―
‘Dans le Seigneur’ peut se rapporter aussi bien à la salutation qu’à l’écriture. Mais il semble plus naturel de rapporter l’expression à la salutation.
Ayant introduit cette courte phrase, il rend l’initiative à Paul qui, tandis que Tertius écrivait, avait dû penser qu’il ne devait pas oublier celui chez qui il était accueilli, ni un des notables également membre de la communauté, ni Quartus, même s’il n’avait rien de particulier à dire à son sujet :
Gaïus, mon hôte et celui de toute l’église, vous salue. Éraste, le trésorier de la ville, vous salue, ainsi que le frère Quartus.
Les commentateurs ont, bien sûr, quelque chose de particulier à dire d’Éraste. Il est mentionné deux autres fois dans le Nouveau Testament (Ac 19.22 et 2 Tim 4.20), mais, surtout, parce qu’en 1929, on a trouvé, à Corinthe (d’où Paul écrivait sans doute, et de cette époque-là), une dalle de marbre portant une inscription latine signifiant : « Éraste, en reconnaissance pour sa fonction d’édile, a fait poser le pavage à ses frais ».
Vos versions ont probablement gardé le verset 24, mais il n’est dans aucun des meilleurs manuscrits. Je n’en dirai donc rien, pour en venir sans plus tarder à la doxologie finale, la plus longue que Paul ait composée et qui, d’une certaine manière, récapitule l’essentiel de sa lettre.
Étrangement, suivant les manuscrits, on la trouve placée à des endroits différents. Selon le plan en schiasme (miroir) de l’épître, sa place est cependant bien à l’endroit où les versions l’ont conservée, tout comme, d’ailleurs, la parenthèse que représentent les versets 17-20 dont l’authenticité fut cependant également remise en question :
25Mais à Celui qui peut vous affermir selon mon évangile et la prédication de Jésus-Christ, conformément à la révélation d’un mystère gardé dans le silence durant des temps, 26mais maintenant manifesté et porté à la connaissance de toutes les nations au moyen d’écrits prophétiques sur ordre du Dieu de l’âge (présent), en vue de (conduire) les nations à l’obéissance de la foi, 27à Dieu seul sage, gloire (soit) par Jésus-Christ, jusque dans les âges (à venir). Amen.
C’est une seule phrase, mais a laquelle il est difficile d’introduire une ponctuation logique. Et quelle densité de pensée ! Tandis que Paul exposait les divers aspects de la vérité, il n’a cessé de se laisser émerveiller par la grandeur de Dieu et la sagesse, l’intelligence de ses desseins. Deux fois, c’est la manière dont Dieu a en vue la bénédiction des païens au-delà de ses relations avec Israël, qui le conduit à traduire son émerveillement en ce que nous appelons une doxologie.
La première se trouve après l’exposé de l’avenir d’Israël, à la fin du chapitre 11. Il venait d’écrire ces quatre mots : … faire miséricorde à tous, c’est-à-dire aux païens et aux Juifs. Alors, bien que ce soit par écrit, c’est comme s’il s’était écrié : Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles ! … C‘est de lui, par lui et pour lui que sont toutes choses. À lui la gloire dans tous les âges ! Amen !
Cette fois-ci, en fin de lettre, sa doxologie met au centre la révélation manifestée après des âges de silence, de l’intention éternelle de Dieu d’ouvrir aux païens l’accès à la foi. C’est cela, une fois de plus, qui le fait exulter.
Dieu a mis fin à un long silence. Dès avant la création de l’univers, dans sa prescience, Dieu savait, bien sûr, que l’homme qu’il allait créer libre, serait séduit par l’Adversaire. Il savait les conséquences désastreuses qui en découleraient et que la guérison réclamerait son incarnation et sa mort. Comme entrant dans l’histoire, Il les prépara par le choix d’Abraham et la mise à part de sa postérité, en vue de se faire connaître au monde. Cette postérité serait un peuple à part qu’il sauverait afin de le rendre apte à remplir sa mission. Et, pour cela, c’est d’elle que naîtrait Celui en qui Il viendrait écraser la tête de l’Ennemi et, à travers son peuple, étendre le salut à toutes les nations de la terre. Or, cela, Dieu l’avait tenu secret jusqu’à ce que les écrits prophétiques du Nouveau Testament l’aient révélé. C’est ce que dit Paul.
Au début de l’épître, verset 2 du premier chapitre, Paul avait présenté l’évangile de Dieu comme promis de la part de Dieu par ses prophètes dans les Saintes Écritures. Ce n’est certainement pas par hasard qu’il emploie maintenant une autre expression pour parler de ladite révélation en sa pleine signification. Il dit maintenant : manifesté par les écrits prophétiques. Il parle peut-être des récentes épîtres, en particulier les siennes. À moins qu’il veuille dire que les prophéties anciennes longtemps demeurées voilées, se trouvaient maintenant éclairées par l’Esprit.
On peut penser, bien sûr, à Dieu répondant à Daniel qui tentait de comprendre ses visions : Va, Daniel car ces paroles seront tenues secrètes et scellées jusqu’au temps de la fin (12.9).
Dans sa doxologie, Paul appelle donc ‘son’ évangile un mystère. C’est erronément que des traducteurs ont traduit ‘le mystère’. En effet, le grec n’a pas l’article et il serait dommageable d’associer ce mystère à celui, tellement plus grandiose que Dieu révéla à Paul, bien plus tard, et que ce dernier exposera dans son épître aux Éphésiens.
Mais, en quoi consiste exactement le mystère que Paul mentionne ici, en fin de lettre ? Pour le comprendre, il nous faut revoir ce qu’il y a enseigné. On ne peut tout rappeler, mais le cœur en est bien que l’incrédulité persistante d’Israël, comparée à un trébuchement, Dieu l’a, en fait, utilisée comme moyen de rendre le salut accessible, sans plus attendre, aux païens.
Si l’on remonte au chapitre quatre, on verra que ce n’est pas seulement la foi d’Abraham qui est regardée comme justice, mais la foi de quiconque croit, païen autant que juif ! Bien sûr, cela, aujourd’hui, nous semble une évidence. Mais rappelez-vous comment les douze apôtres de la circoncision, ont eu, eux-mêmes, des difficultés à l’admettre. Les Actes mentionnent les hésitations de Pierre à se rendre chez Corneille. Pour l’y pousser, il lui fallut une vision répétée… puis, pour balayer enfin ses doutes, une manifestation de l’Esprit sur le centenier et les siens semblable à celle accordée aux disciples à la Pentecôte. Rappelons-nous aussi comment tous ceux qu’on appelle les judaïsants, prêchaient que les païens devaient se faire juifs ― spécialement en se faisant circoncire―, pour pouvoir hériter du salut !
Il est vrai que lorsque Paul écrit sa lettre aux Romains, il fait encore une différence entre le Juif et le Grec (le païen), disant, vous le savez : L’Évangile est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec… Il dit aussi les païens greffés sur Israël, l’olivier franc. On comprend aisément que la différence n’était pas encore gommée. Cependant le salut était néanmoins pour quiconque croit, et des branches sauvages étaient devenues branches de l’Olivier ! C’est cela qui représentait le ‘mystère’ de la doxologie finale de Romains.
Nous savons, il est vrai, qu’il y aura plus, que Paul écrira qu’en Christ, les distinctions disparaissent ; qu’en Lui, il n’y a plus ni Juif ni Grec. Et nous avons découvert que les uns et les autres forment maintenant, ensemble et au même titre, le corps même du Christ ! Cela, c’est le mystère de l’épître aux Éphésiens, le mystère par excellence.
Paul ne pouvait encore le proclamer au temps de sa lettre aux Romains, mais l’accès des païens à la foi et à la justice, objets de sa lettre, n’en était pas moins déjà la révélation d’un vrai mystère, une bonne nouvelle que Paul avait été chargé de proclamer. C’est pourquoi il pouvait dire « mon évangile » de celui qu’il appelait « l’Évangile de Dieu » dans le tout premier verset de l’épître.
Le parallèle entre les premiers et les derniers versets se retrouve aussi dans la mention de « l’obéissance des païens ». Il avait défini ainsi le but de son apostolat : … amener en Son nom à l’obéissance de la foi, tous les païens…
Nous aurions tort cependant d’arrêter là le rappel du message extraordinaire de l’épître la plus longue de toutes celles qu’il ait rédigées et qui nous soient parvenues. Car l’apôtre y a dépassé, et de beaucoup, la question de la foi qui permet au païen comme au Juif d’être considéré par Dieu comme juste.
Le cœur de l’épître, l’exposé le plus riche, ce sont les chapitres six, sept et huit. Là, c’est tout homme, juif ou grec, qui fait la découverte qu’en se reconnaissant comme mort et enseveli avec le Christ, il n’est plus seulement considéré comme juste, mais il l’est devenu.
Car, alors, sa vieille nature que le chapitre 7 présentait comme l’empêchant d’accomplir le bien qu’il voulait et le contraignant à faire le mal qu’il ne voulait pas, cette vieille nature, il découvre qu’elle a été crucifiée, qu’elle a donc perdu sa capacité de domination sur lui.
Il comprend que, par cette mort assumée, comme il l’avait déjà écrit, peu auparavant, semble-t-il, aux Galates, le monde est crucifié pour lui, et lui pour le monde. Désormais, et c’est le chapitre 8, il ne doit plus rien aux habitudes de sa vieille nature ; plus rien ne peut le contraindre à vivre encore selon les suggestions du vieil homme. Au contraire, il vit maintenant pour Dieu.
Rien n’est peut-être, à titre individuel, plus important, en premier lieu, que ce que Romains 7 dépeint : se découvrir incapable de faire le bien par ses propres forces, au point de désespérer et de s’écrier, comme Paul : Misérable que je suis ! Qui me délivrera de cette réalité mortelle !
Important, oui, parce que c’est ce qui nous pousse à compter sur Dieu seul, sur son pardon et sur la grâce d’être désormais libéré de notre vieille nature, celle héritée d’Adam. C’est alors, que nous passons du désespoir à l’émerveillement : Qui me délivrera ?… Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur. La voilà, la clé : Par Jésus-Christ, ma mort en Lui, je suis avec Lui rendu à la vie et capable de vivre désormais pour Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit.
Dieu est pour nous ! Qui donc sera contre nous ? Il est allé jusqu’à se donner à nous en son fils. Ne nous donnera-t-il pas tout le reste ? En Jésus, par notre identification à sa mort, Dieu nous justifie. Qui pourrait encore nous condamner ?
On pourrait poursuivre, mais je terminerai par ces paroles d’assurance, de foi, que Paul exprime pour clore la partie centrale de son épître :
J’ai l’assurance que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur ! (8.38, 39)
Y a-t-il paroles plus exaltantes que celles-là ? Elles font certainement parties de celles que nous aurions intérêt à nous redire chaque jour. Aucune autre ne sera peut-être plus importante en l’époque au sein de laquelle nous sommes entrés.
Oui, à Dieu seul sage, par Jésus-Christ, gloire jusque dans les âges (à venir). Amen