Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous
Jean 14.18
SAMEDI SAINT
Des interrogations effleurent mon esprit. Toutes en relation avec ce qu’ont pu faire les disciples et les apôtres entre la crucifixion et les visites du Ressuscité. Je m’y reporte en pensée.
Le jour même, cela a bougé. Un certain Joseph d’Arimathée est allé réclamer à Pilate le droit de prendre son corps et il l’a porté dans un sépulcre qu’il s’ést acheté pour lui-même. Nicodème l’a rejoint apportant de la myrrhe et de l’aloès pour un embaumement minimal. Et deux des Marie sont là. Ce qui est étrange, c’est que ces deux messieurs-là sont disciples, mais en secret. De Joseph, c’est même la première fois que les évangiles le mentionnent. Mais eux se sont mouillés. Cela, c’était « hier »
Pour ce qui est des apôtres, disciples affichés depuis trois ans, les textes ne disent pratiquement rien. On peut tout juste penser qu’ils demeurent enfermés par peur d’être, à leur tour, inquiétés par les autorités. Heureusement, quand le Christ viendra les retrouver, il n’aura pas besoin qu’on lui ouvre, car il aura son corps glorieux qu’une porte verrouillée ou des murs ne peuvent arrêter.
Et les autres, les disciples qui l’ont suivi depuis la Galilée et qui l’acclamaient de toute leur ardeur, il y a six jours seulement ? Où sont-ils ? Qu’ont-ils fait ? Découragés, profondément déçus, peut-être avec le sentiment d’avoir été trahis, sont-ils repartis vers la Galilée en traînant les pieds ? Pas sûr, parce que, cette année-ci, il y a au moins deux jours sabbatiques consécutifs : l’ordinaire et le Grand sabbat de la Pâque. Or, les déplacements autorisés ces jours-là sont bien courts.
Alors, logent-ils chez des parents, des amis, à la belle étoile ? Dehors, c’est tellement risqué ! Les textes ne m’aident pas. Ils n’en disent rien !
Mais comment vit-on de telles déceptions, un tel effondrement de ses espérances ? Ce qui est certain, c’est que, dans tout Jérusalem on ne parle que de ce qui s’est passé. Précisément, deux disciples, un certain Cléopas et un autre qu’on suppose être Luc, parce que c’est lui seul qui le raconte et ne se nomme pas, finiront, demain, en fin d’après-midi, par quitter Jérusalem. À un passant qui les rejoindra et leur demandera de quoi ils s’entretiennent si tristement, ils répondront : « Serais-tu le seul qui, séjournant à Jérusalem, ne sache pas ce qui est arrivé ces jours-ci ? »*. Demain, donc. Mais, pour le moment, j’ai comme l’impression que, dans les rues, il y a relativement peu de monde. Une sorte d’atmosphère lourde plane sur la ville et les plus invraisemblables rumeurs circulent. On dit, par exemple, que, lorsque le Galiléen a été crucifié, il y a eu un tremblement de terre, que des roches se sont fendues, que des sépulcres se sont ouverts et que des morts en sont sortis, sont entrés dans la ville et ont été vus par plusieurs**.
On sait aussi que des femmes qui l’avaient suivi, sont allées acheter des aromates pour pouvoir l’embaumer dès que le sabbat serait passé…***Car, bien entendu, on ne travaille pas durant les sabbats ! On dit souvent que les femmes sont bavardes, mais en ce qui les concerne, elles, je suis quasi certain qu’on ne les entend guère, tant le chagrin les habite. Et qui peut imaginer ce que vit sa mère ?
Voilà la manière dont j’imagine ou comprends le peu que disent les évangiles. À, la fois un lourd silence presque sépulcral pesant comme une chape sur la ville déicide et, en sourdine, les potins les plus invraisemblables et contradictoires.
Jour étrange s’il en est auquel nous avons donné le nom de ‘samedi saint’. Puisque ‘saint’ signifie à part, il l’est en effet, ce jour unique, écrasant, désespéré.
Mais pourquoi ?
N’a-t-il pas annoncé qu’il ressuscitera ? Seulement, voilà : Rien ne correspond à ce qu’ils croyaient.. Leur Maître est mort, et bien mort. Tout ce qu’ils espéraient doit être oublié. Oui, c’est un jour noir, mais c’est surtout parce que, de tout ce qu’Il leur disait, ils n’ont retenu que ce qu’ils avaient eu envie d’entendre. Et ce qu’ils ne voulaient surtout pas entendre, c’est qu’il devait souffrir, être mis à mort, …Non, cela, c’était tout simplement impossible. Ils ne l’ont pas entendu. Du coup, ils n’ont pas entendu la suite non plus, à savoir qu’il ressusciterait le troisième jour.
Demain, Cléopas (ou Luc ?) dira : Avec tout cela, voici le troisième jour que ces choses se sont passées…**** Et même cela ne réveillera rien en leur mémoire !
Et moi, et nous qui vivons entre sa venue en humilité et son retour en gloire, ne nous arrive-t-il pas de nous sentir désemparés, déçus, tragiquement tristes de la situation désespérante du monde, sorte de long samedi noir ?
Ne serait-ce pas parce que nous n’avons compris des Écritures que ce que nous avions envie d’y trouver et d’en comprendre ? Car Dieu n’a pas dit son dernier mot. Le samedi saint allait être suivi de la plus glorieuse de toutes les Pâques, et notre long samedi noir, de l’accomplissement des plus inimaginables promesses ?
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* Luc Luc 24.18 ; ** Mtt 27.52, 53 ; *** Mc 16.1 : **** Luc 24.21
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